Petite crevette rose, sans cheveux, bien en chaire, toute fripée. Junon n'était pas un beau bébé. Ses yeux ne faisaient qu'une fente au milieu du visage, ses joues étaient joufflues à n'en presque plus voir la bouche et la grandeur de sa tête n'était pas en harmonie avec le reste de son corps. Non vraiment, ce bébé n'était pas beau. Mais la chance était de son côté. Avoir une mère comme Ugolina Pavone, un être si spécial, si unique, ne pouvait être qu'à son avantage. Dès la première minute de sa naissance, l'enfant fut chaleureusement accueillit dans les bras de sa mère et Junon pouvait se sentir en cet instant comme le plus beau bébé qu'il n'ait jamais existé. Puis, elle était peut-être moche, mais le plus important était tout de même qu'elle était là et qu'elle ne soufrait d'aucun problème de santé.

Jusqu'à ses trois ans, la petite fille resta presque totalement chauve. Son poids était resté dominant et sa laideur n'avait fait qu'évoluer. Mais qui pouvait savoir qu'un jour le vilain petit canard se transformera en beau cygne ? Pour dire la vérité, personne n'en douta une seconde. Junon était quand même née Pavone. La famille reconnue pour ses pouvoirs charnel, ses pouvoirs qui comme tout le monde le sait, pouvaient parfois faire des miracles. N'oublions pas aussi que Junon est la fille d'Ugolina Pavone, la plus grande chirurgienne esthétique à Belmonte. Au contraire, tout le monde resta à chaque fois perplexe quand ils virent Junon. Un paon sans plumes. Il faut rajouter qu'elle resta ainsi déplumée pendant longtemps. Heureusement la beauté n'interfère pas dans la réussite d'une vie, enfin pas toujours. C'est ainsi que Junon, au physique imparfait, grandit sans problème dans un monde tout aussi imparfait.

On ne peut vraiment pas dire que Junon eut une enfance difficile. Bien qu'elle grandit dans une atmosphère un peu spéciale. Son père décéda alors qu'elle avait trois ans, ceci ne la marqua pas plus que ca. Junon ne se rappelle plus du tout de son père. Ce qui est du reste de sa famille elle n'eut pas beaucoup de contact. On lui expliqua que son grand-père était fâché avec sa mère et c'est pour cela qu'elle ne pouvait pas aller le voir. Sa grand-mère était morte depuis longtemps, mais on lui raconta un peu son histoire, que c'était une femme très belle et très généreuse. Ses tantes étaient toutes trop occupées pour venir leur rendre visite. Junon se contenta donc de jouer avec ses frères et les domestiques. Ugolina voulait certainement couper ses enfants de la famille qu'elle haissait tant.

Elle n'eut peut-être pas le plaisir de connaitre le reste de sa famille, mais ca ne veux pas dire qu'elle se sentit seule. Junon fût Chouchoutée par sa mère, elle était l'enfant favorisé ce qui rendit plus d'une fois jaloux ses frères. Pourris gâté serait la bonne connotation. Elle pouvait faire ce qu'elle voulait, quand elle le voulait, où elle voulait. Ugolina ne lui donna pas de limites, ou que très peu. Contrairement à ce qu'on puisse penser, Junon était en temps normal une enfant adorable. Gentille, très polie et généreuse. Ugolina avait bien fait son travail de mère. Mais personne n'est parfait, n'est-ce pas? Quand Junon voulait quelque chose elle le recu aussitôt. Il fallait simplement qu'elle demande à sa maman. Biensûr, Ugolina n'était pas tout le temps à la maison, il se pouvait même qu'elle parte pendant quelques jours. Si les voeux de la petites princesses ne sont pas exaucés imédiatement, vous avez un problème. Le vice le plus présent chez Junon est sans aucun doute la colère, et ca déjà depuis toute petite. Sa plus jeune explosion fut peu après la mort de son père, elle devait alors avoir trois-quatre ans. Sa mère était partie depuis deux jours et jusqu'à là, tout c'était bien passé. Après avoir écoutée avec attention l'histoire de sa nourrice, Le Lion qui se prenait pour un Mouton, elle déborda d'enthousiasme.

Il était une fois, un lionceau qui perdit très jeune sa mère et se retrouva seul. Triste, abandonné, il erra à la recherche d’une aide ou d’une affection... jusqu’à ce qu’il trouva un troupeau de moutons. Il se joignit à eux et, comme les moutons l’acceptèrent, il grandit auprès d’eux.
Ainsi, le lionceau fut élevé par les moutons à tel point qu’il broutait de l’herbe et qu’il bêlait comme un mouton.
Le lionceau devint un superbe lion à la crinière flamboyante, se nourrissant d’herbe et d’eau, tout en vivant en harmonie parmi "sa famille" moutons.

Un jour, alors que le lion broutait parmi les moutons, arriva un vieux lion descendu de la montagne. Ce dernier fut stupéfait de voir qu’un lion se trouvait tranquillement au milieu d’un troupeau de moutons, en train de manger de l’herbe.
Il décida donc d’aller lui parler et lui demanda :
"- Pourquoi vis-tu comme un mouton ?".
"- Mais je suis un mouton" lui répondit-il.
"- Non, fiston, tu es un lion comme moi, tu n’as rien d’un mouton ! "

Comme le jeune lion ne le croyait pas, le vieux lion lui demanda de le suivre et l’emmena jusqu’à un lac. Il lui dit :
"- Regarde-toi ! Tu n’es pas un mouton, tu es de ma famille, tu es un lion !"

En regardant son reflet sur l’eau, le jeune lion lui répondit avec effroi qu’en effet, il n’était pas un mouton, mais bel et bien un lion. Le vieux lion lui dit :
"- Rugis, tu en auras la confirmation !"

C’est alors qu’il retint son souffle avant de pousser un énorme rugissement... Il prit alors conscience de qui il était vraiment !

Le contexte et la morale de l'histoire ne l'avait pas vraiment intéressé. Junon voulait un lion. Sa nourrice lui sourit en et caressa sa joue en lui disant que c'était impossible, un lion serait beaucoup trop dangereux. C'est alors que la fille unique d'Ugolina devint toute rouge, rouge de colère, et se mit à hurler. Pendant bien trois heures elle ne s'était pas arrêtée et les domestiques étaient en train de perdre courage. Personne ne pouvait la toucher, Junon griffait, mordait, frappait quiconque essayant de l'approcher. Tout ce drame n'arrêta que lorsqu'on lui fit part que sa mère venait de rentrer. Épuisée, elle tomba assise au milieu du champ de bataille qu'était devenu sa chambre. Ugolina se trouva au seuil de sa porte une étrange créature entre les bras. C'était un lionceau, sans griffes et sans dents. Ce fut sa première crise d'hystérie, mais c'était loin d'être sa dernière.

À l'âge de huit ans, un jour comme les autres, un jour d'école, Junon fit la première expérience qui troubla profondément sa vie de petite fille. Une nouvelle était arrivée ce matin dans la classe. Sa famille venait de Francia et ses parents étaient venus à Belmonte pour leur travail. Émilia était son nom. Elle était jolie, bien vêtu, coquette et très arrogante. Ce jour, après avoir appris son nom de famille, elle humilia Junon en se moquant ouvertement de son apparence.

"Comment un Paon, l'animal le plus beau qu'il puisse exister, peut-il être aussi moche !"

C'est seulement quand toute la classe se mit à rire, que Junon fondit de honte. Elle allât pleurer et chercher réconfort chez sa mère, qui en temps normal ne faisait pas beaucoup de gestes affectifs, mais voyant sa fille dans cet état elle ne put faire autrement que de la prendre dans les bras. Ugolina lui dit alors quelque chose qui allait marquer le reste de sa vie, et changer sa vision sur le monde.

"Tu sais ma fille, la beauté ce n'est pas la perfection. Surtout sache qu'il y a autant de beauté dans le monde que de gens qui la cherche. C'est quelque chose de personnel. La beauté tu dois la trouver toi-même."

Le lendemain, après avoir retrouvée un peu de confiance en soit, elle se rendit à l'école. Mais Émilia n'était pas là. Le jour suivant non plus, et ainsi de suite. Les parents durent retourner d'urgence en Francia. C'était la version officielle. En vérité Ugolina ne pouvait pas supporter qu'on se moque de sa fille, son petit bijou, toute sa fierté. Dieu seul sait ce qu'elle fit a la pauvre famille pour la faire fuir ainsi. Junon apprit la vérité quand elle fût plus agée, et elle s'en lécha les babines. Sa scolarité, sa vie continua sans autres incidents du même genre. Elle retrouva doucement son plaisir de vivre, mais elle avait perdu son innocence. Elle se retira un peu de sa vie sociale, devint plus timide, moins entreprenante. À côté de l'école elle prenait des cours d'Arte Carnale chez sa mère et il se trouva qu'elle était très douée. Elle fit quelques changements sur elle-même, comme légèrement éclaircir ou assombrir la couleur de sa peau, mais elle n'osa jamais se changer entièrement, elle en avait bien trop peur. Junon avait vu ce que ce don pouvait faire, surtout sur sa mère et sur les serviteurs. Parfois ils lui faisaient très peur, elle en avait des cauchemars. Junon savait qu'elle n'était pas belle aux yeux des autres, mais elle n'eut jamais le courage de faire un changement radical.

Quand elle atteint l'âge de 12 ans, les premiers boutons firent apparition. C'était le temps ou elle commenca à s'interesser aux garcons. Surtout un en particuler. Impossible pour elle de lui avouer ses sentiments, il ne savait même pas qu'elle existait. De plus elle savait qu'il était intéressé à Julià, la plus belle fille du lycée. Tous les garcons étaient amoureux d'elle. Junon décida donc d'en parler à sa mère. Elle voulait être aussi jolie que Julià. C'est la première fois qu'elle refusa quelque chose à sa fille, même sans aucunes explications. Junon était d'abord perplexe. Jamais sa mère ne lui avait refusée quoi que ce soit, et il faut dire qu'elle avait un esprit vif et beaucoup d'imagination. Ugolina ne voulut plus en parler et lui interdit aussi finalement d'aller voir le reste de sa famille. Folle de rage, elle s'enferma dans sa chambre. Ce n'est que plus tard qu'elle appris pourquoi Ugolina avait prise cette décision. Pendant trois mois Junon ne quitta pas sa chambre, ne mangeant que très peu, dormant que deux ou trois heures par nuit. Elle était devenue obsédée par son corps, se regardant nue pendant longtemps devant un grand miroir au bordures doré. Puis après trois mois de théorie, Junon se mit au travail. Elle connaissait toutes les courbes, toutes les imperfections, chaque pore et poils de son corps. Il était temps de le changer. Et le résultat fut étonnant. Il devait être trois heures du matin lorsqu'elle sortit enfin de sa chambre. Épuisée, affamée, elle se dirigea vers la cuisine et se gava de viande crue. C'est une domestique qui la retrouva sur le seul baignant dans du sang d'animal. Junon avait tout changée ce qu'elle pouvait changer, aux yeux des autres, c'était une inconnue. Et c'est là qu'elle comprit pourquoi sa mère ne voulait pas l'aider : Elle avait le potentiel, il fallait simplement qu'elle trouve courage.

Ugolina était très fière de sa petite fille.