Vers le vide, l’oublie, il se précipite, ce garçon. Sous un ciel rouge de flamme, il court, à en perdre haleine. Surtout ne pas regarder en arrière, ne pas regarder ce funeste bûcher qui s’élève dans le ciel de la cité. Il n’a pas le temps. Il doit courir. Des cris résonnent dans son esprit, des voix qu’il ne reconnait pas, qu’il a oublié. Mais il court, sans s’arrêter. Porter par un éclair de volonté, par une injonction qui le dépasse. Les sons d’acier, des pleurs, des hurlements, des cris frappent les murs, rebondissent, frappent dans sa tête. Il est traqué, comme une bête. Alors il se cache, se glisse dans l’ombre. L’enfant prostré se saisit les genoux avec ses mains tremblantes, les griffent. Il a si mal. La peur lui broie le ventre. Il ferme les yeux, si fort, pour tout effacer. Cette nuit, ces flammes, tous ces morts. Cette odeur de chair brûlée qui lui donne envie de vomir.
Tout.
Enfant perdu. Enfant souillé. Un pan de son visage est sévèrement brûlé, comme d’autres parcelles de son corps. Mais les dégâts les plus graves ne sont pas là.
Quelque chose s’est brisée dans son être, dans son âme.
S’enfonçant dans l’ombre de la nuit, il cherche à ne faire qu’une avec elle, à se lover entre ses bras invisibles. Il garde les yeux fermés, rejetant les cauchemars et la réalité loin de lui. Trop loin. Il oublie tout. Finit par s’oublier lui même. Le garçon s’évanouit sous le contre coups de la douleur et de l’émotion. Il perd conscience. Il se perd.
On le touche. On le fouille. Une main effleure la brûlure sur son avant bras. Il crie. La douleur le réveille brusquement, faisant disparaitre les dernières chimères de son sommeil. Deux garçons sont là, devant lui. Ils le dépouillent sans vergogne, lui ayant déjà fait les poches et s’attaquant à ses vêtements. L’aube envahit juste le ciel où s’élève encore un panache de fumée. L’enfant crie, pleure, griffe pour que tout ça s’arrête, pour qu’on le lâche. Mais sa résistance ne pèse rien face à la force des deux adolescents, grisé par le paletot vert, brodé d’or qu’il porte. Ils laissent leur victime en sous vêtement, pantin décharné et maigrichon, ses chairs brulées mordues par le froid. L’enfant se recroqueville sur lui, pleure en hoquetant misérablement.
La veille il avait une famille, un toit, une vie.
Désormais il n’a rien. Dans une rue étroite, deux garçons sont retrouvés morts, exécutés par les Leone pour avoir porter sur eux les armoiries serpente.
L’enfant reste à terre, se nichant dans le coin d’une petite rue. Il a froid, tremble alors que ses chairs calcinées le brûlent encore. Il veut disparaitre. Mourir, simplement. Plus personne ne l’attend, il n’a aucune raison de continuer à souffrir, à se battre. Mais on ne lui laisse pas le choix. A moitié inconscient, il se sent attraper, porter dans les bras d’un homme. On l’emmène quelque part, loin des ruines fumantes du palais des Serpente.
Capitolo Uno : amnesia e perdita di
Tic Tac. Tic Tac. Une chambre petite et austère. Une grande horloge égrenant les secondes. Interminables. L’enfant restait silencieux face aux figures féminines qui se tenaient à son chevet. On avait pansé ses brûlures, on l’avait lavé et habillé d’une chemise de coton. L’enfant n’avait plus mal, plus froid. On lui demandait son nom. Il ne répondait pas. Il ne pouvait plus parler. Ne se rappelait même plus de son nom. Ou de son âge. Il avait l’impression de naître, vierge de tous souvenirs, de toute vie. On crut qu’il était muet et qu’on l’avait abandonné. On ne se posa pas plus de questions.
Bientôt, l’enfant parcourait les pièces de l’immense demeure bourgeoise où on l’avait recueillit, un grand pansement barrant sa joue gauche. Il revivait, se remettant doucement de ses blessures, aidant les domestiques dans leurs diverses tâches dès qu’on lui demandait son aide. On lui avait donné un prénom, Baldo, auquel il s’était accoutumé rapidement. Cette vie de domestique semblait le satisfaire, malgré quelques comportements étranges de sa part, réminiscence d’une autre vie. Mais on le rappelait vite à l’ordre lorsqu’il outrepassait ses droits et l’enfant, bientôt, trouva sa place dans la demeure.
Deux semaines après son arrivée, le maître, comme il se faisait nommer par ses domestiques, le fit appeler à ses côtés. Baldo n’avait fait que l’apercevoir brièvement. Il découvrit un homme d’une quarantaine d’année, bien bâti et à la barbe taillée avec soin alors qu’il pénétrait dans le grand salon. Ses vêtements et son attitude respiraient l’opulence et l’arrogance des bourgeois se prenant pour des nobles. A ses côtés, sa jeune épouse, faisait mine de lire un livre. Le garçon s’approcha de celui qui l’avait arraché à la rue, avec une assurance inattendue. Ne distinguant pas la lueur maligne dans le regard gris de ce sauveur inopiné.
« Te voila de nouveau sur pied mon garçon. Tu as plus fière allure que lorsque je suis tombé sur toi l’autre jour. Mes domestiques m’ont dit que tu es muet, ce que je vois comme une qualité après les quelques années passées aux côtés de ma charmante femme. »Le maître rigola seul, son épouse, Sancia, lui jetant un regard qui en disait long sur ce qu’elle pensait. Baldo resta tendu, ne desserrant pas la mâchoire d’un pouce.
« Approche-toi un peu plus, que je puisse voir le garçon que j’ai secouru. »L’enfant s’exécuta après une seconde d’hésitation. Il s’approcha du gros canapé où le bourgeois avait pris place, frémissant lorsque ce dernier posa sa main sur son épaule.
« Tu dois l’avoir compris, mais je t’accepte sous mon toit. En échange, je souhaite te prendre à mon service personnel. »Baldo sentit peser sur lui le regard affuté de Sancia et l’observa cacher ses lèvres derrières les pages de son livre. Il ne comprenait pas ce qui se passait, ce que pouvait faire un enfant au service d’un bourgeois, mais la main du maître sur son pansement à la joue le fit sursauter.
« Hum c’est vraiment dommage pour ton visage, cette brûlure. »L’enfant se recula, repoussant la main de l’homme. La douleur s’était réveillée sous la caresse indélicate. Il se crispa en voyant la frustration et l’incompréhension naître dans le regard du belmontien, se recula un peu plus.
« Emilio, n’aurais tu pas un rendez vous avec le maître naval ? »Sancia, d’une voix en apparence légère, coupa son époux dans son élan de colère. Elle ajusta ses paroles d’un nouveau regard perçant qui fit reculer la terrible fureur du maître des lieux.
« Tu as raison, j’y vais. »La grande silhouette se leva du canapé et sortit du salon, suivi de son domestique personnel qui n’avait rien loupé de la scène. Baldo resta debout, crispé et ignorant. La main de la jeune Sancia l’attira à elle. A genoux devant le garçon, elle lui souriait avec compassion, remettant ses cheveux et sa chemise en ordre.
« Tu ne dois plus faire ça. Mon époux est un homme impulsif, il n’aime pas qu’on lui refuse ce qu’il veut. Contente-toi de lui obéir, et ta vie ici se passera bien. Tu n’as pas de famille après tout, nous avons vérifié auprès des autorités et personne n’a tenté de te retrouver. Dis-toi que tu as de la chance que l’on t’ait trouvé et que mon mari ait voulu te recueillir. Mais rien n’est gratuit, Baldo. Souviens-toi de ça. »Elle le laissa ainsi, perdu et confus. Dans les jours suivants, les murmures s’arrêtaient lorsqu’il pénétrait dans la pièce. On le nommait
« carino », le mignon du maître. Mais ce dernier se contenta de lui demander des tâches comme écrire des lettres pour lui, aller porter des messages à son épouse ou à ses collaborateurs. Baldo restait muet, perdu dans cet univers qu’il ne connaissait pas. Il se remettait doucement de ses blessures et les semaines passèrent au rythme des passages de la jeune tête brune dans les pièces de la demeure. Jusqu’à ce jour…
Emilio Savelli, ivre du banquet qu’il venait de donner, fit appeler son jeune secrétaire particulier à ses côtés. Il l’avait à peine effleuré depuis son arrivée et sa patience arrivait à ses limites. Baldo, tendu jusqu’à rendre chaque parcelle de son corps douloureuse, s’avança dans le grand salon déserté de tous domestiques et fit face au bourgeois, évitant de croiser son regard. Celui-ci, leva sa coupe.
« Te voila Baldo. Sers-moi. »Le jeune belmontien se dirigea vers la carafe de vin. Il avait le ventre retourné, la peau moite. Sancia avait fait plusieurs fois des allusions concernant le rôle de
carino, assez explicites pour que l’enfant ait compris de quoi il s’agissait. En versant le vin, il fit tout ce qu’il put pour garder ses distances. Emilio vida son verre d’un trait, son regard ne le quittant pas une seule seconde.
« Ton visage a beau avoir été rongé par les flammes, les grands Leone m’en sont témoins, tu n’en restes pas moins beau. »Il tendit la main vers le garçon et l’attira vers lui. Baldo essaya de s’échapper, mais l’homme ne remarqua rien dans son impatience. Le bourgeois lui remonta sa chemise et fit courir ses doigts sur son dos. Si le garçon n’avait pas été aussi tendu, ce contact aurait put le chatouiller. Mais cela ne fit que le martyriser d’avantage, renforçant sa peur et ses craintes. Emilio commença à lui pelotonner les cuisses puis les fesses alors que les efforts pour s’échapper de Baldo se faisaient plus accrus.
« Arrête donc de gigoter autant et aide moi à me déshabiller. »L’homme grommela, attirant un peu plus le garçon vers lui. Le jeune belmontien essayait d’imaginer une parade pour s’en sortir, en vain. Mais alors que les mains de son bourreau remontaient doucement le long de ses jambes, il sentit en lui une peur intense le parcourir, en même temps qu’une flèche de haine et de colère. Quelque chose se dénoua dans son ventre, faisant glisser en lui une sensation de … puissance.
« A-Arrêtez ! Ne me touchez pas ! »La voix s’était élevée, enrouée mais forte. Une voix jusqu’alors jamais entendu dans la maison. Celle de Baldo. Le garçon, ses pupilles figés dans le regard fou d’Emilio, ne comprenait pas ce qu’il se passait. Les mains avides s’étaient soudainement arrêtées, délaissant sa peau. Il saisit néanmoins sa chance, se reculant vivement et remontant son pantalon. Le bourgeois, le visage rouge de colère se leva de son canapé, s’avançant vers lui menaçant.
« Qu’as-tu fais espèce d… »« Stop ! Taisez-vous ! »Baldo cria, couvrant la voix grondante. Le même éclat de peur et de haine dans son cœur. Et Emilio obéit à l’injonction, incapable de se soustraire à l’ordre. Sans réfléchir, le garçon s’empara du portefeuille du bourgeois, posé sur la table basse et fila par la cuisine. Il pris la fuite à toute jambe, ses pas l’emportant loin de la demeure des Savelli.
Vers le vide, il se précipite, ce garçon. Sous un ciel rempli d’étoile, il court, à en perdre haleine. Surtout ne pas regarder en arrière, ne pas regarder cette maison et ces personnes qu’il fuit. Il n’a pas le temps. Il doit courir. Il serre seulement le portefeuille contre son cœur. Son premier larcin.
Enfant perdu. Enfant souillé. Enfant de nouveau en fuite.
Mais quelque chose s’est réveillé dans son être, dans son âme. Une chose au goût de pouvoir et de magie.
Le
sang nobile.Capitolo Secondo : illusione e inganni
Baldo, debout à la proue du bateau observait la mer et Belmonte disparaître peu à peu. Il lui avait fallut partir, Emilio Savelli le faisait rechercher dans toute la ville pour vol et brutalité sur sa personne. Alors l’enfant avait pris la première embarcation venue, payant le voyage avec l’argent qu’il avait dérobé au bourgeois. Sa destination n’avait pas d’importance, tant qu’il s’éloignait de cette ville et de ses cauchemars.
Il disait adieu à cette vie oubliée qu’il refusait de chercher. Le passé est souvent trop douloureux et trop cruel pour qu’on le regarde en face. S’il l’avait oublié, il devait y avoir une raison. L’enfant ne voulait pas replonger dans ses blessures de l’âme, préférant vivre ainsi, comme une plante déracinée.
Il finit par arriver à Jazerath au hasard de ses voyages. On lui donnait quatorze ou quinze ans, bien qu’il soit plus jeune en réalité. Lui-même ignorait son âge exact. Mais tout était différent ici de Belmonte. Les couleurs, les personnes, les bruits. Baldo avait l’impression d’être comme dans un rêve… avant que son estomac ne le rappelle à l’ordre. Alors il fit la seule chose qu’il était capable de faire. Il vola, utilisant et abusant de son Sang nobile pour survivre dans cette ville où il ne connaissait personne. L’enfant dormait où il pouvait, squattant des logements vides ou des bâtiments désaffectés, se débrouillant seul. Il grandit ainsi, vivant au jour le jour sans savoir ce qui le nourrirait le lendemain. Son corps se forgea peu à peu, s’habituant à la chaleur étouffante de Jazerath et aux jours de diète que lui imposait son régime précaire. Petit à petit, il se faisait des connaissances, des relations. Comme un animal sauvage, il se laissait peu amadouer, trop craintif. Le souvenir de Emilio Savelli restait gravé dans sa mémoire et lui intimait de se méfier des gens.
Pourtant Baldo finit par s’ouvrir, découvrant l’amour. Le vrai, celui qui vous jette au bord d’un précipice, qui vous donne l’impression de mourir de joie à chaque fois que le regard de l’être aimé se pose sur vous. Il avait dix neuf ans. Il était devenu un bel homme malgré la cicatrice sur sa joue, s’amusait à voler les premiers baisers de jeunes filles amourachées. Mais avec elle tout était différent.
Nour. Elle avait une beauté exotique, presque sauvage. Elle venait d’une famille noble, était promise à un autre, mais un seul regard échangé dans la rue, en plein milieu du marché la laissa éprise de Baldo. C’était un coup de foudre, violent et irrépressible.
Les deux amoureux se retrouvaient dans la chambre de la jeune fille. Baldo s’était introduit par effraction, escaladant la façade de la demeure pour rejoindre celle pour qui il était capable de tout. Les deux jeunes gens se connaissaient depuis quelques mois, avaient passé de longues nuits ensemble à discuter et à plaisanter. Ils avaient appris à se connaître, ne brusquant pas les choses, laissant à leur amour le temps de s’épanouir. Mais ce soir là, leurs baisers se firent plus langoureux, plus pressants. Baldo jeta au sol sa chemise, faisant de même avec la robe de Nour. Leurs peaux, l’une claire et l’autre mate, s’enlaçaient, se mélangeaient dans une danse sensuelle. Le belmontien couvrait sa princesse du désert de baisers papillons, ses mains partant à la découverte de leur corps.
« Baldo… il ne faut … p-pas… » La résistance était bien maigre dans la voix et dans les actes de Nour, celle-ci découvrant également le corps de son partenaire avec envie et passion. Mais le jeune homme se stoppa quelques secondes dans ses caresses, allant passer sa main sur le visage de celle qu’il désirait plus que tout. Il la regarda dans les yeux, figeant ses pupilles vertes dans le regard gris de la Jazerathie.
« Laisse-moi faire. Ne parle plus. Ne bouge plus. »Il l’embrassa, sentant sous ses doigts toutes résistances disparaitre. Tout à sa passion, Baldo ne remarqua pas la lueur de peur et d’incompréhension dans les yeux de Nour. Il ne remarqua pas l’utilisation de son Sang nobile, l’ayant trop abusé. Elle ne pouvait plus bouger, plus parler. Alors le voleur lui déroba une chose si précieuse et si rare qu’il ne pouvait lui rendre. Il lui vola sa première fois, sa virginité.
Nour l’accusa de viol, une fois que les effets du Sang nobile disparurent. Elle appela à l’aide dans la grande demeure, laissant Baldo ahuri, perdu. Il dut fuir, encore.
Mais on le retrouva. Cette fois ci, il ne parvint pas à s’échapper. Il ne voulut pas s’échapper, blessé bien plus profondément qu’il ne voulait se l’avouer.
Le père de la jeune fille outragée l’avait fait chercher dans toute la ville, demandant l’appui d’un Vizir. Il voulait laver l’honneur de sa fille dans le sang, celle-ci déjà promise à un autre. Mais le représentant du Calife, Shakir, dessinait d’autre projet pour ce jeune homme aux pouvoirs mystérieux. Lorsque Baldo fut arrêté, il fut emmené au palais du vizir, devant faire face au père de celle qu’il avait déshonoré et au maître des lieux.
« Voila notre fuyard. Lâchez-le et laissez nous. »Les gardes s’exécutèrent, le laissant seul dans cette immense salle décorée avec somptuosité.
« Mon ami ici présent m’a raconté ta fâcheuse aventure avec la belle Nour. Tu comprendras que cela ne peut rester sans conséquence. Tu souhaites peut être te défendre ? » Baldo faisait pâle figure, amincie et épuisé. Il n’avait rien à dire, il se dégoutait lui-même pour ce qu’il avait fait à celle qu’il aimait. Il était impardonnable. Qu’on le tue et qu’on en finisse.
« Non. »« Très bien. Alors voici ma sentence te concernant. »Shakir laissa traîner un temps de silence, un sourire apparaissant sur ses lèvres.
« Pour laver cette souillure, tu seras mariée à Nour. Ainsi il n’y aura plus de déshonneur sur sa famille. »Des voix de protestations, venant aussi bien de Baldo que du père de la nouvelle fiancée s’élevèrent. Elles furent stoppées par la main levée du Vizir.
« Suffit. Ce que j’ai dit sera fait. En outre, pour payer ta dette envers la famille de ta fiancée et envers moi, tu devras travailler à plein temps à mon service. Tu as quelques prédispositions qui m’intéressent grandement. »Alors c’était ainsi. Il allait devenir l’instrument d’un homme avide de pouvoir. Mais Baldo finit par accepter, maître de son choix. Tant que cela lui permettait de rester avec celle qu’il aimait, il était prêt à accepter toutes les conditions. Il espérait qu’avec le temps les choses s’améliorent.
Mais c’était trop en demander.
Quatre ans plus tard. Baldo était marié. Ses journées se ressemblaient toutes. Il dormait dans une chambre individuelle, isolée de celle de son épouse qui refusait de le regarder en face ou qu’il la touche. Leurs discussions se résumaient à des mono discours du côté de Baldo, agrémenté par quelques mots de la part de Nour. Elle le craignait, bien plus qu’elle ne l’aimait. Ses sentiments avaient disparus cette fameuse nuit. Mais le jeune époux ne perdait pas patience, usant de son charme et de cadeaux pour essayer de la reconquérir. Il gagnait bien sa vie, Shakir lui donnant du travail à plein temps. Il était une sorte de conseiller. Mais son rôle se cantonnait à persuader les collaborateurs du Vizir d’accepter les termes imposés du contrat. Shakir, ayant connaissance des pouvoirs de Baldo, en usait et abusait pour son profit, l’utilisant sans vergogne pour convaincre quiconque lui résistait. Le belmontien était la carte maîtresse de son jeu et en quelques années il avait pris bien plus d’importance et pouvoir dans l’entourage du Calife. Il en était sur, un jour avec son aide, il deviendrait lui-même Calife.
Mais tout ne devait pas se passer selon ses plans. Si Baldo se soumettait à ce traitement, qui ne faisait que renforcer sa cleptomanie, ce n’était que pour les beaux yeux de son épouse qu’il espérait encore reconquérir. Alors, le jour où il la trouva en compagnie d’un autre homme, riant et faisant l’amour dans ce qui aurait du être leur lit conjugal, il n’y tint plus. La jalousie s’empara de lui, la colère, la haine, ainsi qu’une profonde blessure qu’il se borna à ignorer. Il fit irruption dans la chambre, voulut tuer l’amant, livrer son corps aux charpies. Mais Nour s’interposa, les larmes coulant sur ses joues alors qu’elle protégeait son compagnon. Elle le supplia de le laisser, elle lui dit qu’il lui avait tout pris, qu’il ne pouvait pas lui prendre la seule chose de bien dans sa vie. Flèches parfaitement ajustées qui allèrent se figer dans son cœur. Baldo dans un dernier sursaut essaya d’utiliser le Sang nobile pour ordonner sa mort à l’amant, mais il découvrit là une limite de son pouvoir.
Incapable d’en supporter plus, il partit. Sans jamais se retourner. Il partit loin de Jazerath, de Nour et de Shakir. Il voyagea dans plusieurs pays au hasard de ses traversées et de ses rencontres. Avant de reprendre un bateau en direction de Belmonte, le seul lieu qu’il connaissait en définitive.
On retourne toujours de là où l’on vient.
Capitolo Tre: rinascita e nuova vita
L’homme posa les pieds sur les quais du port avec une émotion particulière. Cela faisait près de quinze ans qu’il n’était pas revenu dans la Sérénissime. Malgré le temps qui s’était écoulé, les choses n’avaient pas tellement changé. Alors que lui était devenu adulte et indépendant, Belmonte était restée prisonnière de son écrin, gouvernée encore par les mêmes lois immuables.
Baldo, avec l’argent qu’il avait d’avance de ses précédents vols, parvint à s’installer dans un petit appartement, dans les quartiers les plus pauvres. C’était la première fois qu’il s’installait ainsi dans un endroit, qu’il avait un chez lui. Il se fondit sans mal dans la société belmontienne, retrouvant les vieux automatismes de son enfance. Revenir dans cette ville réveillait des souvenirs de la période où il avait servit chez les Savelli, aussi Baldo se jura t’il à ce moment là de ne plus jamais redevenir le larbin ou l’outil de quiconque. Pour confirmer son engagement, il alla rendre une visite surprise au vieux Emilio, lui dérobant ses plus précieux bijoux et une somme d’argent non négligeable. Un vol au goût de vengeance qui lui donne l’occasion de se réconcilier avec ce passé trouble. Encore une fois, il utilisa son Sang nobile sans restriction. Il devenait de plus en plus accro aux vols et aux sensations qu’ils lui procuraient.
L’homme, dans les premiers mois suivant son installation, se montra excessif, détroussant les belmontiens de leur bien sans retenu et sans tempérance. Aussi se fit-il arrêter assez rapidement, emmener au poste de police et emprisonner durant quelques mois. Mais dès qu’il sortit, il recommença ses larcins, en retenant pour autant la leçon. Il se faisait plus discret, préparant à l’avance ses coups.
Courir, sauter… Baldo fendait la foule de Belmonte, un sac à main sous le bras. Il riait alors qu’il entendait derrière lui les pas lourds d’hommes et de femmes le poursuivre. Ils n’avaient aucune chance et le voleur se moquait d’eux. Ils étaient bien trop lents et bien trop lourds pour avoir une seule chance de le rattraper. L’arrogant, ayant un temps d’avance, se dissimula sous un pont, ses pieds frôlant l’eau. Il se retenait de rire alors qu’il entendait au dessus de sa tête ses poursuivants se faire duper et tomber dans son piège. Alors qu’il remontait, fier comme un paon avec son larcin sous le bras, il ne vit pas les silhouettes qui s’approchaient dans son dos.
« C’est lui…
» Un simple murmure. Baldo se retourna. Trop tard. On le frappait à la tête, au niveau de la nuque. Tout devint flou autour du jeune homme, il tomba dans un bruit mat au sol. Il eut juste le temps d’apercevoir une femme et deux hommes en face de lui, avant qu’il ne perde connaissance.
Il se réveilla dans un endroit qu’il ne connaissait pas. Des bruits lui parvenaient, des bribes de conversation qui restaient flous alors qu’il se démenait avec son mal de crâne.
« Vous y êtes pas allé un peu fort ?
» « C’est lui qui a commencé ! On pouvait pas le laisser faire !
» « Et puis on l’a pas tué ! Regardez il se réveille.
» Baldo ouvrit les yeux et redressa le visage. Il était dans une sorte de hangar désert, entouré d’une bande hétérogène d’à peu près une dizaine d’individus. Il avait beau essayer de comprendre sa situation, il ne parvenait pas à trouver un début d’explications.
« M-mais…qu’est que je fais là ? » Il se frotta l’arrière de la tête, au niveau de la nuque, là ou on l’avait frappé. Il réalisa qu’on l’avait dépouillé de tous les objets qu’il avait sur lui et vit rouge en un instant.
« Hé ! Ou est… » « Ta gueule. Sinon je te coupe un doigt.
» Une jeune femme d’une vingtaine d’année le menaçait avec son couteau, l’air déterminé. Baldo déglutit, réalisant le sérieux de sa situation. Il la fixa du retard, fronçant les sourcils avec l’air grave.
« Lâche ça. » Murmure. La lame tomba su sol dans un bruit métallique. Le voleur s’en empara et renversa la situation, la tenant au niveau du cou de la jeune présomptueuse. Un rire résonna alors derrière le groupe et une silhouette s’avança.
« Du calme. Nous ne sommes là que pour te faire passer un message, mon garçon. Si nous t’avons fais venir ici, c’était pour te signaler que tu te trouvais sur notre territoire. Nous sommes les voleurs Vicentini. Tu comprendras que nous n’acceptons pas que d’autres viennent nous voler notre gagne pain. » Un sourire, l’homme d’une quarantaine d’année s’avança et lui fit signe de baisser son arme. Baldo hésita, puis obéit. Il y avait quelque chose chez cet individu qui le mettait en confiance.
« Et qu’est ce qui m’arriveras si je vole tout de même dans ces quartiers de Belmonte ? » « Nous ferons en sorte que tu ne sois plus capable de recommencer. » La menace était sérieuse. Et le voleur avait beau faire le fier et être arrogant, il mesurait qu’il ne faisait pas le poids contre autant d’individus. Il avait pourtant du mal à reconnaître une défaite et à renoncer aussi facilement à autant de territoire. Il pouvait toujours utiliser son pouvoir sur ces types, mais il n’avait aucune certitude qu’ils ne soient pas plus nombreux.
« Ok. J’ai compris. » Il fit mine de partir, baissant les bras sur ce coup là. Restant vigilant, il se déplaça vers la sortie du hangar sous les regards attentifs des autres voleurs. C’était un groupe bien intriguant en définitive, qui l’avait piégé avec une facilité déconcertante. Il lui faudrait se renseigner sur leur compte s’il voulait…
« A moins que tu ne te joignes à nous… » Baldo s’arrêta. Il hésita une seconde avant de faire son choix. Il se retourna, observant le chef des Vicentini lui sourire l’air de rien.
« OK. » Depuis, Baldo est un voleur des Vicentini. Il du faire ses preuves dans ce groupe organisé et hiérarchisé, se faisant peu à peu respecté. Il trouva parmi ses membres des amis, une famille, ce qu’il n’avait jamais eu jusqu’alors. Lui, si habitué à se débrouiller seul, appris à vivre à plusieurs, à s’entendre avec d’autres personnes. Malgré ses pouvoirs et son silence sur sa jeunesse, ses compagnons l’ont accepté tels quels, lui faisant confiance désormais.
Naviguant entre vols et petits boulots sur les docks, Baldo vit précairement, mais il a trouvé une certaine stabilité avec les Vicentini. Belmonte est leur terrain de jeu, leur gagne pain. Tous se moquent bien de la noblesse et des autorités, ils profitent simplement de la vie.