Brun, ses cheveux. Brun, ses yeux. Alessandro aurait préféré être blond, un blond majestueux et royal, un véritable lion. Malheureusement, la nature en a voulu autrement, et a fait de lui la parfait opposé de ce qu'il rêvait d'être. Alessandro n'en est pas pour autant laid, loin de là. Il sait se mettre à son avantage. Son charisme fait le reste. Alessandro n'est pas sans défaut, personne n'est parfait, malheureusement. Mais il sait faire oublier ses défauts, doué d'une verve comme personne.
Doté d'un visage assez fin, on peut dire que le brun a presque des traits féminins. … Mais ne lui dites surtout pas cela. Alessandro a une certaine fierté masculine, et étant un misogyne sans pareil, lui dire qu'il ressemble à une femme serait l'insulter. Pourtant, il a réellement une silhouette élancée, et il est peu large d'épaules. Cependant, même si il est fin et de taille moyenne, il est quand même assez musclé- même si pour le voir il faut le déshabiller complètement.
Sa peau douce et pâle laisse parfaitement deviner qu'il vient d'une famille plutôt riche. Non, son corps n'est pas usé, vierge de toute cicatrice. Ou plutôt, il l'était, avant qu'il ne décide de jouer l'assassin. Il a su toutefois, malgré ses activités de tueur, rester en vie, et en parfait état. Du moins, si l'on excepte les quelques cicatrices qui zèbrent son flanc droit, et qui ne se sont jamais effacées.

Alessandro aime avoir de l'allure, et ça se voit. Il se tient toujours droit, le menton légèrement rehaussé, avec une majesté presque noble. Il n'en est pourtant pas un, un noble... Cela ne l'empêche tout de même pas de se comporter comme tel. Oui, il a vraiment l'air d'un bourgeois pédant au ton pompeux, ce qui se rapproche de près ou de loin à ce qu'il est vraiment... Mais chut, taisez-vous, regardez-le, quand il ferme les yeux, quand il pince les lèvres, plus pâle que jamais. Il a senti l'esprit de la mort, non loin de lui. Malgré les années, son don qu'il doit aux quelques gouttes de sang de Sangue Nobile qui coule dans ses veines le rend toujours aussi mal à l'aise. Il n'est jamais facile de voir la mort s'installer chez quelqu'un. Alors quand il est seul au milieu de la foule, malgré son attitude hautaine, Alessandro dégage une froideur glaciale, une aura qui l'éloigne des autres, aura qui s'effacera quand il se sentira bien loin de la mort et de toute cette noirceur.

Oh. Alessandro est un fourbe, un homme malsain et imbu de lui-même. Il est totalement détestable, et il le sait très bien. Il n'agit que comme il le veut, quand il le veut, et sait très bien jouer la comédie. Ainsi, rien de plus simple pour lui que de passer d'un sourire hypocrite à une mine compatissante. Alessandro est un homme franc, et il n'a pas la langue dans sa poche. Il est parfois – souvent – blessant, la gentillesse n'étant pas l'un des ses traits de caractère le plus marqué. Pourtant, il pourrait se montrer agréable, mais il ne le désire tout simplement pas.
Sa capacité à sentir la mort approcher l'a rendu un peu aigri, il n'aime pas trop les vieilles personnes, leur aura sombre se trouvant souvent bien trop présente. Et puis, avouez-le, quand on est vieux, on a bien plus de chances de mourir. Pourtant, Alessandro n'a rien contre les seniors, c'est simplement un lâche qui ne veut pas affronter la mort en face. D'ailleurs, c'est un sujet plutôt tabou pour lui, évitez de lui en parler, il se mettra très vite hors de lui.
Alessandro est un homme sensible, au fond. Il est difficile de savoir ce qu'il pense, il ne le montre jamais, préférant afficher un masque cynique. C'est un manipulateur, un dominateur, une personne totalement insaisissable. Vous pensez le connaître ? Vous ne connaissez en réalité que la partie immergée de l'iceberg. C'est une énigme à lui tout seul.
Alessandro est détestablement intelligent. Complexé par sa non-noblesse, il a préféré s'instruire pour se donner plus de valeur. Il aime afficher sa culture, prétentieux et narcissique comme jamais.
Tout ce qu'il veut, c'est qu'on l'aime.

Aujourd'hui, tu vas mourir.

Il le savait, il l'avait toujours su. Qu'il n'était pas comme les autres. Qu'il était différent. Et pourtant, il se mêlait si facilement à la masse qu'on l'eût crut totalement normal. Mais non. Il ne l'était pas. Il ne l'était pas, parce qu'il avait ce don si particulier. Comparé au Sangue Nobile de tous ces Lions, Serpents et autres Loups, il était certes bien pathétique, mais il avait quand même ce petit quelque chose qui le différenciait du commun des mortels. Et pour cause; Alessandro était doué pour sentir la mort approcher. Étrangement, quand quelqu'un arrivait à la fin de sa vie, il le sentait, d'une façon qu'il ne pourrait décrire, mais c'était tellement intuitif qu'il ne doutait pas. Quelque chose en lui s'était déclenché un jour, de façon croissante, et il pouvait aujourd'hui savoir si telle personne allait mourir bientôt ou non.

Ce don étrange et effrayant l'avait longtemps hanté, il l'avait renié, rejeté puis il avait appris à s'en servir. A présent, il ne faisait presque plus attention à sa capacité particulière. En dehors de cela, il n'était qu'un homme comme les autres. Ou presque, si l'on exceptait ses origine de bonne famille. Non, il n'était pas un noble, mais n'en était pas loin. Aussi, pas étonnant qu'à presque vingt-cinq ans, il soit dans une situation plutôt plaisante. Gîte et couvert chez papa-maman, tout en occupant un vague métier dans l'entreprise familiale – fabricant de radio, ça marchait très fort. Il n'avait, il devait l'avouer, jamais vraiment pensé à la perspective de quitter le manoir familial pour s'en aller. La vie confortable qu'il menait actuellement lui plaisait, pourquoi donc s'arrêter là ?

« Monsieur, un client vous demande. »

Il avait hérité du déplaisant poste de secrétaire, même si il laissait la plupart du temps le travail à ses collègues. Seulement, aujourd'hui, Monsieur son père avait décidé de s'aventurer hors de son bureau inatteignable pour vérifier si ses employés travaillaient bien. Bien qu'il laisse son fils vivre à ses dépends, il le payait, et tout salaire devait se mériter. Alessandro connaissait la sévérité de son géniteur, et il ne fallut pas lui répéter deux fois que ce jour-là, il devait faire bonne impression. Le brun se leva prestement, quittant son confortable siège couvert de velours rouge pour aller se placer derrière son bureau de pin laqué, en faisant signe au domestique de faire entre ledit client.

« Le bureau des réclamations n'est pas ici », Fit le riche héritier, sur un ton calme mais toutefois passablement agacé.

Il leva ses yeux, cessant de faire semblant de travailler, et daigna regarder l'homme qui venait d'entrer. … Homme ? Non, c'était une femme – une cliente, donc, fichu domestique stupide. Une charmante femme, qui plus est, et Alessandro se surprit à laisser son regard s'attarder sur ses formes. Oui, il était un fils de bonne famille, mais menait, à l'instar de ses parents, une vie pleine d'excès. Les femmes en faisant partie – les homme ne l'intéressaient pas, devait-il dire. Le jeune homme était donc conscient du charme qu'il pouvait avoir, et les femmes n'avaient pas de secret pour lui. En grand misogyne, il se mit aussitôt à considérer cette 'cliente' comme un objet à séduire, plutôt qu'une personne à écouter. D'un geste nonchalant, il posa son menton sur la paume de sa main en haussant légèrement un sourcil.

« Oh. Vous dev... »

Il s'arrêta soudainement, quand la femme fit un pas de plus dans la salle. Coupé par ce sentiment incroyable de... désir. Oui, désir d'être plus proche d'elle, de se rapprocher, de...

« Je viens vous parler de ma proposition.

_De ? Ah. Oui. Bien sûr. »

Quelle proposition ?, se surprit-il à penser. Mais étrangement, quelque chose lui disait que cette femme avait raison; sur toute la ligne. Elle avait raison d'être là, de se tenir devant lui, d'avoir choisi cette veste cintrée et cette coiffure.

« Dans ce cas, vous m'embauchez ? »

Oh. Ça y est. Il se souvenait. La Leone qui voulait raviver la flamme de l'entreprise familiale. Son père n'avait jamais apprécié ces nobles, mais il leur avait toujours léché les bottes avec le sourire. Était-ce pour se moquer, ou bien pour étaler son talent, mais une Leone était un jour venue proposer ses services, en échange d'un salaire onéreux, promettant de faire remonter ostensiblement les bénéfices de l'entreprise. Son père avait refusé, ce serait l'humiliation que de faire appel à ces Nobles pour s'occuper de son entreprise.

Il ne contrôlait pas ses mots. Ou plutôt, les mots lui vinrent étrangement à la bouche, sans qu'il ne les pense. Quelque chose lui disait que ces mots étaient les bons. Quelque chose qu'il ne contrôlait pas.

« Oui. »


« Elisabetta. »

Alessandro devait l'avouer, l'arrivée de cette Leone dans l'entreprise avait changé les choses. Il avait appris à la connaître – juste un peu. Aujourd'hui, il l'appelait par son prénom, ayant été de nombreuses fois réprimandé par sa fâcheuse tendance à user de plaisants sobriquets pour qualifier les gens. C'était passé par 'ma petite dame', 'jolie lionne' et autres 'féline comptable'. Finalement, à force d'acharnement, elle avait réussi à domestiquer un peu le jeune homme. Peut-être même à le rendre complètement docile, même si il n'était pas dupe; il savait qu'elle utilisait son Sangue Nobile. Mais Alessandro était têtu et plein de volonté, et il arrivait à peu près à résister à son don.

« Tu voulais quelque chose ? J'ai pas de temps à perdre, dépêche-toi. »

Sa première fierté venait du fait qu'il parvenait à la tutoyer sans qu'elle ne puisse rien y faire. Elle n'avait jamais compris pourquoi elle arrivait à se faire appeler par son prénom et ne pouvait absolument rien faire face à ce tutoiement insolent.

« Un café. Apporte-moi un café.
_Mais bien sûr. Un massage, aussi, peut-être ? »

Elle fronça les sourcils, confuse l'espace d'un instant, ne percevant pas instantanément l'ironie de son ton. Le brun la trouva adorable sur cet instant, et il étira un sourire amusé.

« Tu es sûr de ne pas vouloir m'apporter un café ? »

Il le savait. Il savait que quand elle empruntait ce ton, elle utilisait son don. D'ailleurs, il se sentit fléchir, mais se reprit, le dos bien droit.

« Elisabetta, c'est un coup bas, ça... Obligée d'utiliser son pouvoir pour venir à ses fins ? Enfin, c'est vrai que ton charme naturel n'est pas du tout suffisant. »

Elle se raidit soudainement sur sa chaise, en pinçant les lèvres dans une moue enfantine. Le sourire du jeune homme s'agrandit, et elle grogna d'une façon presque animale.

« Comment oses-tu... ?! Je suis Elisabetta Leone, tu dois...
_Te lécher les pieds ? Sans façon.
_Goujat ! Tu me dois le respect ! Incline-toi devant moi ! »

Et elle repartait dans ses crises d'hystérie. Sa mégalomanie ne la réussissait décidément pas. Au début, ça n'avait été qu'une prétention grandissante, mais aujourd'hui, Elisabetta devenait de plus en plus imbue d'elle-même. Si Alessandro avait tenté de trouver une explication à ce comportement, il n'avait pour hypothèse que son pouvoir, qui faisait grandir en elle sa soif de grandeur. Il poussa un long soupir, avant d'aller chercher un café.


Elisabetta... Elisabetta, tu sais, tes cheveux sont si doux, et tes doigts si fins...

Il voulait la garder pour toujours près de lui. Il voulait qu'elle lui appartienne. Mais, même si il était un bourgeois de bonne famille, elle était une Leone, et le fossé entre deux était bien trop grand. Il le savait, autant qu'elle le savait. . Ils étaient dans son lit, son grand lit, celui qui accueillait plusieurs amant(e)s par semaine. Ils étaient nus, bien entendu. Le jour se levait péniblement. Lentement. A travers les fins rideaux de soie, le jeune homme pouvait voir le ciel se teinter de nuances roses-orangées splendides. L'aube. Déjà. Il laissa sa main glisser sur les draps pour aller se fourrer dans la chevelure de cette jeune femme. Elle était belle, avec sa peau douce et hâlée, ses longs cheveux blonds et son charmant visage. Elle ressemblait à une poupée. Il l'aimait. Probablement. Il n'en était pas sûr, il n'avait jamais aimé. Dire aimer, c'était dire sa faiblesse. Et il n'était pas faible. Il était fier, trop fier, trop libre, pour aimer. C'était tout simplement impossible, aussi Alessandro se redressa pour se lever, laissant son amante d'un soir dormir dans les draps de soie.

Elisabetta, douce Elisabetta...

Elle ne l'aimait pas. Il le savait. Elle désirait juste sentir son désir, elle désirait juste se sentir aimée, elle désirait juste se sentir puissante. Dès le début, son seul but n'avait été que de se servir de lui. Elle était trop fière, encore plus que lui, et trop mégalomane pour pouvoir aimer. Était-il déçu ? Oui, sûrement. Lui, fier Alessandro, détruit, humilié par cette femme. Lui, Alessandro, esclave de l'amour faisait les frais de ses mauvaises actions passées. Était-ce ce qu'on appelait karma ? Lui, Alessandro, blessé, cassé, rejeté. Ça faisait mal. Mais il était Alessandro Del Moro. C'était à lui de blesser, à lui de rejeter ! Quelle honte. Oui, il avait honte, honte d'aimer, honte de cet amour non-réciproque. C'était lui le grand, l'unique, c'était lui que l'on devait aimer ! Il enfila des vêtements, lentement, calmement, en silence. Ses lèvres tremblaient de rage. Il voulait hurler. Cependant, il ne laissa pas un mot, pas un son s'échapper de sa bouche, et se dirigea vers son buffet. Ouvrant le premier tiroir, il enleva la couche de chemises pour découvrir un revolver flambant neuf. Il ne s'en était jamais servi, d'une part parce qu'il n'osait pas, d'autre part parce qu'il n'avait jamais vraiment eu de commettre un meurtre.

Elisabetta, chère Elisabetta...
Ses mains aussi tremblaient. Le cliquettement de l'arme le fit frissonner. Mais il était Alessandro, le fier Alessandro, et il se reprit. C'était lui le plus fort. Dans une autre vie, il aurait été un Leone. Fier et puissant. Un vrai prédateur. Le brun retourna près du lit, effleurant l'épaule de sa douce pour la réveiller. Le soleil s'était levé, et une douce lumière éclairait à présent la pièce. Dans sa petite résidence personnelle, le paysage était plus beau que tout, dans une campagne fleurie bien loin de la ville. Ça le changeait de Belmonte, des bateaux et du bruit de la rue. Nous sommes seuls, nous sommes si seuls...

« Elisabetta, mon amour. »

Il plaça le canon de l'arme sous la gorge de la jeune femme, une sourire énigmatique sur les lèvres. Elle ouvrit la bouche et émit un hoquet de stupeur, en se redressant soudainement. Il la tint par le bras, fermement, le visage doux. Il avait toujours été un homme mystérieux. Un homme incompréhensible. Lui-même ne s'était jamais compris, mais en ce moment-même, il savait qu'il devait faire cela. Ce n'était pas Elisabetta qui lui soufflait cela, elle était trop effrayée pour utiliser son Sangue Nobile. Il deviendrait un assassin, si il appuyait sur la gâchette, mais il s'en fichait. Si elle ne l'aimait pas... Alors elle devait s'en aller. Il posa délicatement ses lèvres sur sa joue, en fermant les yeux.

Puis il tira. Il le savait, il l'avait toujours su, et il l'avait senti. Qu'aujourd'hui, elle allait mourir.