La jeune fille courrait avec entrain, se faufilant dans l'immense jardin, un grand sourire peint sur ses lèvres. Se dirigeant vers un arbre qu'elle jugea assez grand, elle grimpa à celui-ci, faisant tout de même attention pour ne pas abimer sa jolie robe. Mère n'en serait pas très ravie, elle en était sûre. Bien vite, elle atteignit une branche pouvant supporter facilement son poids plume, se hissant sur celle-ci. D'une main, elle porta sa chevelure de son côté droit, baissant légèrement la tête, essayant de faire descendre ses mèches le plus bas possible. Cependant, elle avait beau insister pour qu'on ne lui coupe que la pointe, ses cheveux ne seraient jamais assez longs pour toucher le sol, telle Raiponce, avec ses boucles d'ors. Heureusement, c'est à cela que servait l'imagination. Une fois bien installée, la petite fille se mit a patienter, n'osant pas bouger d'un pouce, attendant son prince qui lui demanderait de laisser tomber sa chevelure pour venir la rejoindre. Cecilia pouvait passer des heures ainsi, à simplement attendre, chantonnant faiblement pour attirer l'attention. La plupart du temps, elle entraînait l'un de ses cousins, faute de meilleur candidat, mais aujourd'hui, il semblerait qu'aucun prince ne viendrait la chercher. Dommage. Ils devaient sans doute être auprès de son cousin, Fausto. Tout le monde dans la famille disait qu'il était le Véro Auguro. Il n'y en avait que pour Fausto comme disaient ses parents.

La voix de sa mère retentit au loin. Elle détestait voir sa fille grimper aux arbres, tel un petit singe. Ce n'était pas un comportement digne d'une noble lui disait-elle à chaque fois. L'Aquila soupira bruyamment. Tout ce qu'elle avait le droit de faire s'avérait plus qu'ennuyeux. Comment se tenir, comment manger, comment saluer. Elle passait plusieurs heures par jour à revoir chaque aspect ainsi que de nouveaux. À croire qu'il n'y avait pas de fin aux bonnes manières. Et puis il y a la danse, mais ça, elle aimait bien. Au moins, même si on ne pouvait pas bouger comme on le voulait, on était en mouvement. Avec l'étiquette, elle avait l'impression d'être une poupée de porcelaine qui pouvait se fissurer au moindre mouvement brusque. Ou encore une marionnette; les deux lui ressemblaient dans tous les cas. Et la liste n'était pas finie, on pouvait aussi y voir la lecture une fois par jour ainsi que quelques heures consacrées à l'entraînement de ses pouvoirs. La petite Cecilia n'avait donc que très peu de temps pour elle et les passe-temps comme jouer à la poupée était plus qu'inexistants.

Lentement, prenant soin de regarder où elle posait les pieds, la petite redescendit, ne voulant pas mettre sa mère en colère. Malgré tout, elle ne pu éviter la chute, son pied glissant contre l'écorce, terminant son plongeon étendue dans le gazon vert. Elle se releva péniblement, voyant déjà sa mère accourir vers elle, un air inquiet figeant son joli visage. S'agenouillant auprès de son enfant, elle s'assura plusieurs fois que sa petite allait bien, entraînant les plaintes de celle-ci. Elle avait beau lui dire qu'elle n'avait aucune douleur, sa mère ne l'écoutait pas, continuant de l'examiner sous toutes les coutures. Cecilia savait pourquoi elle agissait ainsi, lui ayant déjà posé la question. Après tout, elle n'était que sa seule enfant. Enfant qu'elle n'était pas supposée avoir, étant déclarée stérile des années plus tôt. Annabella traitait donc sa fille avec les plus grands soins, la couvant telle une mère poule. Cecilia était leur petite princesse, elle deviendrait quelqu'un de grand, de fort et de fier. Une noble comme personne d'autres, ils s'en assureraient.

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Ce n'était pas sa première soirée mondaine, elle avait participée à quelques-unes depuis son adolescence, mais ce soir, pour une raison qu'elle ne pouvait expliquer, la nervosité lui tordait le ventre. Quelques jours plus tôt, sa mère et elle avait eu une discussion quant à son future. Enfin 'future'...c'était le terme qu'Annabella avait utilisé. Elle voulait surtout lui parler de mariage ; d'ouvrir l'œil pour de beaux prétendants lors des prochaines soirées. Cecilia était simplement restée silencieuse, ne lui souhaitant qu'une bonne nuit lorsque celle-ci quitta sa chambre. Être avec un homme ne la rebutait pas, mais s'engager avec un homme ? Cette idée ne lui était pas encore venue à l'esprit. Elle n'était pas prête pour ce genre de relations. Elle aimait flirter et parfois même passer une nuit avec un bel homme, point.

Et pourtant, même avec cette décision prise, la voilà qui regardait beaucoup plus les invités qu'à l'habitude, bougeant avec une certaine raideur. Son sourire se faisait un peu plus crisper, ses conversations encore plus courtes qu'à l'ordinaire. Finalement, elle avait simplement abandonné l'idée de continuer à se mêler aux invités, préférant se diriger vers un endroit un peu moins fréquenté, sirotant un verre de champagne en silence. Quelques frissons se firent sentir au bat de sa nuque et Cecilia pinça les lèvres, tournant la tête pour voir une jeune femme l'observer avec un sourire amusé. Celle-ci s'approcha, engageant la conversation d'une façon bien à elle -façon qu'elle ne serait pas prête d'oublier -, lui faisant remarquer ses gestes un peu brusques et un sourire qui n'en avait pas vraiment l'air. L'Aquila arqua un sourcil, restant interdite un moment. Avait-elle manqué autant de finesse ? De subtilité ? Son interlocutrice, abordant à présent un sourire plus chaleureux devant la surprise de la blonde, la rassura à ce sujet. Cette jeune femme, se nommant Belisama Ignis Fenice, devint l'une de ses meilleures amies depuis cette soirée.

Une grande complicité liait ces deux jeunes femmes. Elles se voyaient plusieurs fois par semaine, faisant quelques sorties. Un jour, Ignis, comme elle aimait l'appeler, l'invita à venir prendre 'le thé' chez elle, histoire de papoter et de passer du temps ensemble. Belisama souhaitait qu'elles passent un peu de temps dans la cours arrière, la température étant agréable et Cecilia n'y vit aucun inconvénient. Marchant en direction d'un banc quelconque, l'Aquila vit que son amie s'était arrêtée un instant. Elle la rejoignit, arquant un sourcil curieux. Suivant son regard, elle vit bien que son hôte observait quelque chose. Enfin, plutôt quelqu'un. Un jeune garçon pour être plus précis. Et comme lors de la rencontre entre les deux femmes, la belle resta silencieuse, contemplant sans un mot le personnage se trouvant devant elle. Il s'entraînait, elle n'avait aucun doute là-dessus, ayant vu plusieurs de ses cousins le faire. Ce qui l'étonnait par contre, c'était son âge et le fait que ses armes n'étaient pas en bois, mais plus que tranchantes. Elle l'observa un moment, suivant ses mouvements précis, ses sourcils faiblement froncés par la concentration et Ignis le regardant avec inquiétude, un mince sourire étirant ses lèvres.

Boréas Fornax Fenice. Depuis ce jour, à chaque fois qu'elle visitait sa chère amie, Cecilia ne manquait pas une occasion de discuter avec lui. Tenter serait le mot juste. Il ne semblait pas très réceptif, même froid, ne lui répondait que par 'oui', 'non' ou encore, dans ses meilleurs moments 'humph'. Elle avait l'impression de se voir dans un miroir. Une version plus jeune, masculine et belliqueuse d'elle. Pourtant, elle ne lâcha pas le morceau, une raison inconnue la poussant à vouloir percer ses murs de défense pour voir qui était vraiment le jeune garçon. Elle y arriva, non sans mal et se comptait fière de faire partie de son cercle malgré la différence d'âge entre eux.

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La Manigance. Elle y avait assisté à ses dix-sept ans, voyant son cousin Fausto se faire couronner Tête de la famille Aquila. Étrangement, elle en avait été plus que soulagée. Et maintenant, dix ans plus tard, cette tradition demandait à nouveau que tous les membres se rassemblent, prête à choisir un nouveau chef pour la famille. Si Fausto était chanceux, il serait peut-être renommé. Sans doute même. À croire que tout ne pouvait que tourner autour de lui. Après tout, il faisait partie de la branche la plus pure et la plupart des Aquila étaient persuadés qu'il était le Véro Auguro, avec une telle maîtrise de ses capacités. Mais de toute façon, tant mieux s'il était renommé, Cecilia pourrait continuer sa petite vie tranquille, sans anicroche.

À croire que le destin n'avait pas planifié une telle chose pour la belle. Elle ne pipa mot lorsque l'on prononça son nom. Elle ne bougea point, ses jambes refusant de la faire avancer. Ce sont ses parents, fiers comme des paons, qui la conduisirent vers l'avant où elle fut couronnée aussitôt, n'ouvrant la bouche que pour réciter quelques paroles. Plus tard, dans sa chambre, alors que la lune était depuis longtemps levée et que les autres membres dormaient paisiblement, Cecilia restait assise dans son lit, fixant le mur devant elle. La nouvelle remontait de temps à autres dans son esprit et son cœur battait alors la chamade. Elle ne pouvait pas être chef. Pas elle, pourquoi elle ? La Manigance se jouait de ses désirs et exauçaient ceux de ses parents. Elle revoyait clairement leurs visages, si fiers, si souriants alors qu'ils la félicitaient de son succès. Une main vint frotter son visage, passant du menton jusqu'au front pour ensuite venir s'emmêler dans sa crinière blonde. C'était fait, il n'y avait aucun moyen de revenir en arrière. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était d'accueillir ce nouveau poids sur ses épaules avec la tête haute, le regard fier, comme le lui avaient appris ses géniteurs.

Quelques jours plus tard, elle reçue la visite de Belisama qu'elle n'avait pas vue depuis quelques temps. Elle semblait inquiète, même angoissée et lorsque Cecilia entendit ce qu'elle avait à dire, elle l'était également. C'est non seulement sous la demande de son amie, mais également d'elle-même que la belle Aquila alla à la rencontre de Boréas. L'atmosphère était tendue à son arrivée, Nax devait savoir que sa sœur l'avait informée de sa décision de partir pour l'armée. Elle demeura silencieuse pendant plusieurs minutes, cherchant ses mots, ne trouvant rien. Que pouvait-elle bien lui dire ? 'Reste' ? Pourquoi ? Pourquoi devrait-il rester simplement parce qu'elle le demandait ? Ce n'était pas censé. Et pourtant, dans un élan d'égoïsme, refusant de le voir partir, elle lui demanda. C'est un refus froid qu'elle reçue comme réponse. Blessée, elle tenta une nouvelle fois de le résonner, mais la discussion ne put que finir en dispute, Nax quittant dans une colère dont elle n'avait jamais été la victime auparavant.

Elle n'insista pas. Elle ne pouvait pas. Les mots qu'il avait prononcés résonnaient toujours dans son esprit, la hantant dans ses moments perdus. Elle se distança même de la sœur de celui-ci, décidant de se consacrer entièrement à son rôle, ignorant prétendants et distractions, ne participant que dans les soirées par devoir plus que par plaisir. Elle tenta tout de même d'envoyer quelques missives au jeune homme, s'installant le soir à son bureau pour lui écrire quelques mots, mais finissait toujours par jeter la lettre, ne sachant pas vraiment quoi lui écrire. C'est également dans cette période qu'on lui appris la vraie identité du Véro Auguro. Ce n'était pas ce cher Fausto, mais plutôt son frère, un homme étrange, paranoïaque et très peu sociable.

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Elle pouvait presque voir leurs plumes s'agiter tellement elles roucoulaient. C'était encore l'une de ses soirées parmi tant d'autres. La même chose à chaque fois, les mêmes discussions se résumant à la mode, les rumeurs et les hommes. Et ce soir, le sujet se tenait sur l'option numéro trois pour le groupe de demoiselles en compagnie de l'Aquila. Plus précisément, le sujet se tenait sur le lion se pavanant un peu plus loin, Luca Leone. Il était un bel homme, plusieurs femmes l'avaient complimenté en sa présence -et continuait apparemment de le faire - . Cette confiance, cette fierté, ce charisme et cette virilité, peu de personnes sauraient résister à un tel spécimen, elle ne pouvait nier ce fait. Sirotant son verre de champagne, elle sursauta légèrement lorsque le groupe s'anima soudainement, les jeunes femmes devenant excitées alors qu'elles murmuraient -plutôt couinaient. Relevant la tête, elle pu voir le sujet de 'leur' conversation regarder vers elles. Un sourire se manifesta sur le visage de l'homme et Cecilia soupira en roulant les iris, détournant son regard, prenant une nouvelle gorgée. Le fait est qu'elle savait parfaitement que c'était elle qu'il regardait. Leur petit jeu durait depuis quelques temps après tout.

Le tout avait commencé par de subtils regards. Des frissons lui remontaient lentement l'échine et lorsqu'elle se retournait pour scruter la pièce, elle pouvait voir son oeil bleu, brûlant de vie, la fixant. Au début, même si elle ne lui dirait jamais directement, elle s'avoua être déstabilisée. Après tout, ils ne se connaissaient pas vraiment, seulement par identité et le voilà qui commence à lui faire de beaux yeux. Rapidement, elle lui répondait, mais sans doute pas comme il le souhaitait. Un sourcil qui arque faiblement, les yeux qui plissent pour ensuite tenter l'ignorer durant le reste de la soirée. Seulement voilà, Luca n'était pas homme à être ignoré puisqu'il décida tout simplement de passer à l'étape suivante, l'engageant dans plusieurs conversations, l'entraînant sur la piste de danse dès que son autre cavalier avait terminé. Heh, à croire qu'il voulait s'assurer qu'elle ne se faufile pas hors de son emprise.

Il ne voulait pas qu'une simple coucherie d'un soir. Non, sinon il aurait abandonné beaucoup plus tôt. Elle savait maintenant pourquoi il l'amenait à l'opéra, sonnait à sa porte avec un bouquet de lys -à se demander comment il avait obtenue cette information concernant les fleurs - et tous ces présents. Idiote, elle aurait dû le voir plus tôt, aurait dû lire dans ses pensées pour y déceler son jeu. C'était son rang, un point c'est tout. Et pourtant, la voilà qui se regardait une nouvelle fois dans le miroir pour s'assurer qu'elle était bien coiffée, que sa robe était ajustée aux bons endroits. Quelque chose la poussait à continuer alors qu'elle ouvrait la porte pour le voir, attendant patiemment sur le pas de celle-ci. Quelque chose lui donnait envie d'être à ses côtés lors d'une longue soirée d'opéra, à lui jeter quelques regards délicats pour ensuite se retourner de l'autre côté lorsqu'elle sentait le sien sur elle tout comme quelque chose lui demandait de résister alors qu'il la coinçait dans une petite ruelle en la raccompagnant, ne répondant qu'à demi à ses baisers.

Et puis, la question se posa et là, elle ne savait plus. Elle avait agi sans se soucier de ce que pouvait penser sa famille jusqu'à présent, chose que Luca avait fait à sa place, lui promettant protection si elle s'alliait à lui. Encore une fois, elle se retrouvait dans sa chambre, la tête emplie de questions sans réponses certaines. Qu'allait penser sa famille ? Elle ne voulait que leur bien et ce que proposait le Leone leur assurait une prospérité, mais en échange de quoi ? Les Aquilas étaient-ils prêts à se sacrifier pour donner le plein pouvoir aux Leone ? Avec cette alliance, c'était un pas de plus pour eux vers le trône, vers le pouvoir absolu, elle en était consciente. Les Aquila n'agissaient que lorsqu'une opportunité se présentait, ils attendaient sans forcer les choses. Mais une opportunité en restait une, même si elle était engendrée, n'est-ce pas ? Une nuit blanche à se demander de simplement choisir; oui ou non. Si simple, mais si compliqué à la fois.

Pourtant, elle avait choisi. Elle avait décidée de revêtir la robe blanche et porter l'alliance qu'il lui avait offerte. C'était pour le bien de sa famille. Les Aquila continueraient de prospérer, à défaut de ne pas être au sommet. Vêtue de blanc, devant l'homme qui serait son futur époux quelques promesses plus tard, elle releva les yeux pour l'observer un moment, s'assurant qu'elle faisait le bon choix. Et, pendant un court instant, alors qu'elle plongeait son regard dans le sien, une petite voix lui dit que oui. Cela lui suffit.